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La honteuse histoire de la mortalité maternelle

Au début du XXe siècle, le médecin était le plus grave danger qui menaçait les femmes en train d'accoucher.

Pendant une césarienne dans un hôpital en Chine, le 4 juin 2012. REUTERS.
Pendant une césarienne dans un hôpital en Chine, le 4 juin 2012. REUTERS.

Temps de lecture: 13 minutes

Cet article est le deuxième de notre série en six épisodes «Longue vie». A lire également: 1. Comment seriez-vous mort il y a cent ans? 3. Pourquoi vous êtes encore en vie 4. Comment le coton et les satellites vous ont sauvé la vie 5. L'invention des personnes âgées au Paléolithique a rendu notre monde meilleur 6. Où s'arrêtera l'allongement de l'espérance de vie?

La personne qui m'est la plus précieuse a failli mourir en couches. Nous nous sommes rencontrées à la fac alors que nous étions bénévoles dans une communauté dans l'Etat de Géorgie, lieu de naissance de l’organisation humanitaire Habitat for Humanity.

Si jouer les bonnes âmes était une anomalie pour moi, pour Gwen c’est une seconde nature —elle est sage, gentille et généreuse. Elle travaille dans un centre de santé mentale pour séropositifs.

À son septième mois de grossesse, son diaphragme, la bande de muscles qui sépare la poitrine de l’abdomen, s’est ouvert et un bout d’estomac l’a traversé et s’est nécrosé. Le travail s’est déclenché, elle a accouché de sa fille et a dû être opérée d’urgence avant de recevoir des doses massives d’antibiotiques.

Si cela s’était passé il y quelques dizaines d’années, elle et son enfant seraient mortes toutes les deux. Mais elle va bien et sa fille est une enfant sage, gentille et généreuse qui veut être scientifique quand elle sera grande.

Les grossesses tuent

Porter un enfant demeure l’une des activités les plus dangereuses qu’une femme puisse entreprendre. Aux États-Unis, c’est la sixième cause de décès la plus courante chez les femmes entre 20 et 34 ans.

Si vous regardez l’avertissement encadré de noir sur une plaquette de pilule américaine, vous constaterez qu’à la plupart des âges, le risque de mourir en prenant la pilule est moins élevé que celui de mourir si vous ne la prenez pas —simplement parce qu’elle est très efficace pour éviter les grossesses, et que les grossesses tuent.

Le risque ne change de camp qu’après 35 ans car alors, prendre la pilule fait augmenter le risque d’infarctus. (Psst, les mecs, vous savez ce qui serait un super cadeau d’anniversaire pour les 35 ans de votre partenaire? Une vasectomie).

Aux États-Unis aujourd’hui, environ 15 femmes meurent des suites de leur grossesse ou de leur accouchement pour 100.000 naissances viables. En France, c’est 9,6 femmes sur 100.000, dont 46% de morts «évitables», le plus souvent liées à des mesures thérapeutiques inappropriées, selon le Rapport du Comité national d’experts sur la mortalité maternelle commandé par l’Invs.

C’est beaucoup trop, mais il y a un siècle, le chiffre était de plus de 600 femmes pour 100.000 naissances aux États-Unis. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le taux de mortalité était le double: selon certaines estimations, entre 1% et 1,5% des femmes mouraient en couche. Notez que c’est un taux par naissance, donc dans toute une vie, le risque de mourir en accouchant était bien plus élevé, peut-être de 4%.

D’un point de vue évolutionniste, l’accouchement semble un moment particulièrement mal choisi pour mourir. Si par définition, la mesure ultime du succès évolutionniste est la capacité à se reproduire, le fait que les femmes et les bébés mouraient souvent pendant l’accouchement suggère que de puissantes forces sélectives entraient en jeu. Mais pourquoi l’accouchement est-il une telle épreuve?

Les femmes enceintes, «des athlètes incroyablement performantes»

Par rapport à d’autres primates, les nouveau-nés humains sont ridiculement sous-développés; ils ne savent pas faire grand-chose à part hurler et téter. Ils s’en sortiraient mieux s’ils pouvaient rester plus longtemps dans l’utérus —mais ce ne serait pas le cas pour la mère.

L’explication classique de la raison pour laquelle les bébés humains naissent à un stade aussi précoce de leur développement invoque les limites anatomiques des hanches des femmes. Si la tête du fœtus avait le temps de grossir davantage in utero, le bébé ne pourrait pas franchir le bassin. Et si le bassin était plus large, les femmes auraient du mal à marcher.

Cette hypothèse du «dilemme obstétrique», théorie dominante depuis des années, est presque certainement fausse ou en tout cas n’explique pas tout à elle seule. L’anthropologue Holly Dunsworth et ses collègues ont découvert que l’élargissement du bassin ne gênerait pas la marche et soulignent que la gestation est en fait déjà assez longue chez les humains, comparée aux autres primates (alors que le cerveau des nouveau-nés est relativement moins développé). D’autres chercheurs suggèrent que le problème de la dystocie cervicale —en gros, quand un bébé reste coincé— semble s’être répandu assez récemment dans l'histoire humaine.

La véritable raison pour laquelle les femmes accouchent quand elles le font, explique Dunsworth, est que cela demanderait beaucoup trop d'énergie de nourrir un fœtus plus longtemps. C’est «l’hypothèse métabolique», basée sur la découverte que le métabolisme maximum ne peut dépasser plus de deux ou deux fois et demi le métabolisme ordinaire.

Or, pendant le troisième trimestre, c’est exactement l’activité métabolique exigée par la grossesse. Porter un fœtus pendant ces derniers mois «revient à être un athlète incroyablement performant», compare Dunsworth. Pas étonnant que ce soit si épuisant.

Tout peut aller de travers à la fin

Au cours des derniers stades de la grossesse et pendant l’accouchement, à peu près tout peut aller de travers. Les femmes enceintes sont vidées de toute leur énergie. Elles sont plus sensibles aux maladies infectieuses. La tête du bébé est énorme. Le travail est beaucoup plus long chez les humaines que chez les autres primates; les femmes poussent parfois pendant des jours.

Dans le passé, les parturientes mouraient de fièvre puerpérale (également appelée fièvre des accouchées, ou septicémie puerpérale, infection généralement contractée pendant l’accouchement), d’hémorragie, d’éclampsie (hypertension grave et lésion des organes [ATTENTION SPOILER DOWNTOWN ABBEY] c’est ce qui tue Sybil dans Downton Abbey) et de dystocie cervicale.

Au vu de tous ces dangers, comment la mortalité des parturientes a-t-elle pu se réduire à environ un cinquantième du taux historique? L’espérance de vie aux États-Unis et dans le monde développé a doublé au cours des 150 dernières années et le déclin de la mortalité maternelle est en fin de compte une des grandes raisons pour lesquelles nous vivons plus longtemps et en meilleure santé.

Mais l’histoire du taux de mortalité périnatal est à la fois compliquée et dérangeante. Elle mêle orgueil, défiance, cupidité, incompétence et guerre de territoire, et elle fait encore rage de nos jours.

La mortalité en couche causée par les médecins

Le taux de mortalité de la population générale a commencé à décliner à la fin du XIXe siècle pour chuter de façon spectaculaire au cours des premières décennies du XXe. La mortalité maternelle en revanche a suivi une courbe bien différente: elle a augmenté au cours des premières décennies du XXe siècle. Alors même que les femmes enceintes étaient moins exposées aux maladies et plus susceptibles d’avoir un accès à de l’eau propre, à une alimentation adéquate, à des aliments sains et d’être mieux logées que jamais dans l’histoire humaine, elles mouraient en masse en donnant la vie.

À cause des médecins.

Pendant la plus grande partie de l’histoire européenne et américaine, ce sont les sages-femmes qui ont géré les accouchements. Certaines étaient incompétentes, d’autres douées. Les meilleures écrivaient et lisaient des études sur les techniques et les soins, et les documents indiquent qu’elles étaient mieux formées et obtenaient de meilleurs résultats au début du XIXe siècle. Les médecins se mêlaient peu d’accouchements —tous étaient des hommes, et qu’un homme soit présent lors d’un accouchement était considéré comme une chose obscène.

À mesure que les professions médicales prenaient de l’importance au XIXe siècle, les médecins commencèrent à s’immiscer dans le domaine potentiellement lucratif des accouchements. Les premiers étaient des généralistes sans formation et très peu d’expérience en la matière. La spécialité manquait de prestige et elle était mal enseignée, voire pas du tout, dans la plupart des écoles de médecine.

Avant les forceps, la mort

Dans le livre au délicieux titre Get Me Out: A History of Childbirth from the Garden of Eden to the Sperm Bank («Sortez-moi de là: histoire de l’accouchement du jardin d’Éden aux banques de sperme»), Randi Hutter Epstein décrit des méthodes à la pointe de la modernité:

«Avant les forceps, les bébés coincés dans le canal génital en étaient tirés par le médecin, souvent en plusieurs morceaux. Parfois les sages-femmes brisaient le crâne, tuant le bébé mais épargnant la mère. Parfois les médecins cassaient l’os pubien, ce qui souvent tuait la mère mais épargnait le bébé. Les médecins disposaient d’un arsenal complet d’épouvantables gadgets pour accrocher, poignarder et découper un bébé difficile à mettre au monde. Beaucoup de ces gadgets avaient une ressemblance troublante avec des instruments de torture médiévaux.»

Le plus grand danger menaçant les femmes enceintes était l’infection. Avant l’apparition de la théorie microbienne, les gens pensaient que la fièvre puerpérale était probablement contagieuse et savaient que certaines sages-femmes et certains médecins en avaient davantage dans leur patientèle que d’autres, mais personne ne savait comment elle se transmettait (la «putridité de l’air» était une des hypothèses en vogue).

Pour éviter de se voir reprocher les morts maternelles, les médecins mentaient sur les certificats de décès —ils attribuaient la mort d’une jeune mère à une «fièvre» plutôt qu’à la «fièvre puerpérale» ou mentionnaient une hémorragie sans préciser qu’elle avait été provoquée par un accouchement.

Délivrée le lundi, morte le samedi

Au milieu du XIXe siècle, Ignaz Semmelweis découvrit que les médecins de son hôpital de Vienne propageaient la fièvre puerpérale lorsqu’ils passaient directement des autopsies aux accouchements —mais son travail fut largement ignoré, et ce pour plusieurs raisons: apparemment, il était extrêmement désagréable, les méthodes qu’il suggérait pour désinfecter les mains étaient à la fois corrosives et compliquées et la plupart des médecins qui participaient à des accouchements à la maison n’avaient pas côtoyé de cadavre. Et puis, les médecins se sentaient offensés par l’idée que leur crasse puisse causer une maladie mortelle: un gentleman n’a jamais les mains sales.

La meilleure source d’informations historiques sur le sujet est un livre appelé Death in Childbirth: An International Study of Maternal Care and Maternal Mortality 1800-1950 d’Irvine Loudon (si vous êtes enceinte ne lisez pas ce livre).

C’est un travail très sérieux, regorgeant de données, de graphiques et d’analyses, mais on y voit clairement que tous ces décès inutiles du début du XXe siècle le rendent furieux. Voici comment il décrit la fièvre puerpérale:

«Une femme pouvait être délivrée le lundi, heureuse et bien portante avec son nouveau-né le mardi, fiévreuse et malade le mercredi soir, délirante et torturée par une péritonite le jeudi et morte le vendredi ou le samedi.»

Dans les années 1920 aux États-Unis, la moitié des morts maternelles étaient causées par la fièvre puerpérale. Pour une maladie «évitable au moyen d’une intelligence ordinaire et d’une formation soigneuse», écrivait-il, «ces chiffres étaient une honte pour les nations civilisées».

Les femmes riches mouraient plus en couches que les pauvres

Une des preuves qui, aux yeux de Loudon, indique que ces morts prématurées du début du XXe siècle étaient imputables aux médecins est que les femmes riches étaient plus susceptibles de mourir en couches que les pauvres (Mary Wollstonecraft fut l’une des victimes d’un médecin incompétent; elle mourut de fièvre puerpérale après avoir accouché d’une fille qui, une fois adulte, allait écrire Frankenstein).

Dans pratiquement tous les autres cas de figure, les pauvres couraient plus de risques de trépasser que les riches. Mais pour accoucher, les femmes sans moyens ne pouvaient se permettre que de se faire aider par des sages-femmes. Les riches, elles, pouvaient s’offrir l’assistance de médecins. Médecins qui devaient justifier leurs honoraires et se distinguer des humbles sages-femmes en utilisant de nouveaux outils et de nouvelles techniques.

Les choses se sont encore aggravées lorsque les obstétriciens ont commencé à se professionnaliser et à trouver de nouveaux moyens de soigner —et souvent, par mégarde, de tuer— leurs patientes. On usa et abusa des forceps, épisiotomies, anesthésies et des fortes doses de calmants.

Les césariennes devinrent plus courantes et, si elles sauvaient parfois la vie de femmes qui auraient sinon succombé à des dystocies cervicales, elles provoquaient souvent la mort de la parturiente par infection ou parce qu’elle avait perdu trop de sang (anecdote amusante: Jules César n’est pas du tout né par césarienne. Comme le souligne Hutter Epstein dans Get Me Out, jusqu’à une période récente, cette technique était utilisée pour extraire le bébé d’une femme mourante. «Les césariennes étaient des rituels de mort, pas des procédures visant à sauver la vie. Lorsqu’un médecin proposait une césarienne, vous saviez que vous étiez sur le chemin de la morgue»).

Les femmes qui accouchaient à l’hôpital couraient plus de risques que celles qui restaient à la maison. Maladies et infections se propageaient rapidement dans les hôpitaux et les médecins étaient trop contents d’utiliser leurs équipements chirurgicaux.

Médecins et sages-femmes étaient trop nombreux à se disputer la patientèle d’un nombre limité de femmes enceintes et gagnaient des parts de marché en vendant toutes sortes de nouvelles techniques épatantes et en dénigrant la concurrence. Le problème était exacerbé par le fait qu’au début du XXe siècle, le gouvernement ne surveillait que très peu l’exercice ou les études de médecine.

Comme l’explique Loudon:

«Les soins médicaux aux États-Unis étaient dominés par la croyance dans les vertus de la libre entreprise et de la concurrence, combinée à une intense méfiance de toute interférence gouvernementale.»

«Si je devais identifier un facteur plus déterminant que tout autre du taux élevé de mortalité maternelle aux États-Unis», écrit l'auteur dans Death in Childbirth, «je choisirais sans hésiter le niveau de formation obstétrique dans les écoles de médecine». Celles-ci inculquaient aux étudiants une attitude de désinvolture, d’impatience et d’inutile ingérence. Ces morts étaient «une souillure entièrement imputable aux pontes des professions médicales».

Amélioration à partir des années 30

La mortalité maternelle a finit par décliner dans les années 1930 avec l’introduction d’antibiotiques sulfamidés extrêmement efficaces contre les bactéries streptococciques responsables de la plupart des cas de fièvre puerpérale.

Les médecins ont également commencé à se ressaisir avec toute une série d’études datant des années 1940 et faisant le lien entre fort taux de mortalité et mauvaises procédures médicales. La formation s’est améliorée, et les médecins ont abandonné les techniques les plus dangereuses. Les complications post-césariennes ont régulièrement diminué. Les chercheurs en médecine évaluent désormais rigoureusement les taux de succès et de risques des nouvelles techniques et des médicaments.

Les femmes, mieux nourries, furent de moins en moins nombreuses à être victimes de rachitisme, cause de déformations osseuses; beaucoup de dystocies cervicales de la fin du XIXe et du début du XXe siècles étaient dues à une anomalie des os pelvien de la parturiente. Les soins prénataux furent inclus au même titre que les autres dans la pratique médicale.

Une contraception fiable, sûre et légale permit aux femmes de limiter et de programmer leurs grossesses, ce qui déboucha sur une diminution des avortements clandestins, de tout temps l’une des principales causes de mortalité chez les femmes enceintes.

L’amélioration de la survie maternelle finit par devenir l’une des grandes réussites dans le domaine de la santé publique et de la médecine du XXe siècle —quel dommage de l’avoir attendue si longtemps. La bonne nouvelle aujourd’hui est que la mortalité maternelle continue à régresser dans le monde. De plus en plus de femmes survivent à leurs accouchements, et c’est une des grandes raisons —et l’une des plus joyeuses— pour lesquelles l’espérance de vie continue à s’allonger au XXIe siècle.

L'affrontement sages-femmes contre médecins continue

Cependant, sages-femmes et médecins continuent à s’affronter. Les sages-femmes accusent les médecins de mettre les femmes en danger en continuant à pratiquer trop d’actes superflus. Les médecins, quant à eux, reprochent aux sages-femmes de laisser des femmes enceintes et des nouveau-nés mourir de causes évitables.

Aujourd’hui, la principale pomme de discorde est l’accouchement à domicile. Environ 1% des femmes américaines choisissent d’accoucher chez elles; selon l’Ansfl, en France, moins de 1% des naissances ont lieu à domicile, accouchements inopinés non-programmés inclus.

Aussi curieux que cela puisse paraître au premier abord, ces femmes évoquent souvent des soucis de sécurité —elles s’inquiètent des actes inutiles d’un accouchement en milieu hospitalier. Et elles «font confiance à la capacité inhérente de leur corps à donner la vie sans intervention extérieure».

Melissa Cheyney, anthropologue à l’Oregon State University, est également sage-femme et prône l’accouchement à la maison. Selon elle, les femmes qui choisissent d’accoucher chez elles «s’attachent à des systèmes cognitifs alternatifs et plus incarnés ou intuitifs». Les défenseurs de l’accouchement à la maison affirment que les femmes sont mieux dans un environnement confortable, à laisser la nature suivre son cours.

Personnellement, je suis contre l’idée de laisser la nature suivre son cours —la nature n’hésitera pas à vous tuer. Et «systèmes cognitifs intuitifs», c’est juste une jolie périphrase pour dire «ignorance».

Une méta-analyse des issues des accouchements à domicile et des accouchements à l’hôpital montre que les femmes qui accouchent chez elles subissent moins d’actes médicaux et ont moins de complications —mais leurs bébés courent trois fois plus de risque de mourir.

L’American College of Obstetricians and Gynecologists, qui estime que les hôpitaux et les maisons de naissance sont les endroits les plus sûrs pour accoucher, a publié des instructions pour dissuader les femmes enceintes d'accoucher chez elles. Aux États-Unis, de nombreux États envisagent d’étendre ou étendent déjà les restrictions concernant les sages-femmes et les accouchements à domicile, notamment l’Idaho, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud et l’Indiana, souvent en réaction à des affaires aussi pathétiques que rageantes de femmes ou de bébés morts faute de soins compétents.

L'accouchement à domicile, pas si clairement dangereux

Pourtant il se trouve que l’accouchement à domicile n’est pas aussi clairement dangereux que ce à quoi je m’attendais. La Cochrane Collaboration, organisme extrêmement réputé qui évalue soigneusement les soins médicaux, a analysé les preuves disponibles —qui sont il est vrai plutôt fouillis (entre autres problèmes, lorsqu’un accouchement à domicile se complique et que la femme doit être envoyée d’urgence à l’hôpital, l’accouchement sera enregistré comme une naissance à l’hôpital, pas à la maison).

Mais son travail conclut que les naissances à domicile planifiées pour les mères ne présentant aucun risque particulier sont aussi sûres que les accouchements à l'hôpital. Soulignons-le de nouveau: cela n’est valable que pour les femmes qui ont très peu de risques de complication et qui ont accès à des soins médicaux d’urgence en cas de problème.

Il n’est pas aisé de comparer d’un pays à l’autre —vu notamment que les règlementations, autorisations et formations ne sont pas les mêmes— mais une étude canadienne montre que les accouchements à la maison sont sûrs. (Aux États-Unis, il y a deux principaux types de sages-femmes: les infirmières agréées spécialisées dans le domaine et qui reçoivent une formation médicale très pointue, et les sages-femmes professionnelles dont la formation est peut-être, heu, un peu moins rigoureuse d’un point de vue médical).

Le conflit entre les médecins et les sages-femmes place les femmes enceintes dans une situation inconfortable et dangereuse. Et il transforme les deux camps en véritables caricatures. Les médecins se concentrent sur les risques et les complications; les sages-femmes sur le confort de la femme enceinte.

Les sages-femmes parlent d’intuition et affirment que la grossesse est la chose la plus naturelle du monde. Elles accusent les médecins de manquer d’empathie —ce qui n’a rien d’étonnant étant donné que les étudiants en médecine subissent une bonne amputation de leur faculté d'empathie pendant leur formation.

Pour les naissances simples et à bas risques, accoucher à la maison avec l’aide d’une sage-femme très bien formée n’est pas nécessairement une très mauvaise décision. Mais lorsqu’on regarde l’histoire de l’accouchement dans le monde à travers les âges, force est de constater que ce ne sont pas les sages-femmes et les accouchements douillets à la maison qui ont permis de faire de la mort maternelle une issue aussi impensable aujourd’hui.

L'une des grandes victoires des temps modernes est que l’accouchement n’a plus besoin d’être nécessairement naturel, et la mortalité maternelle non plus. On doit cela à la médecine moderne. Les médecins ont peut-être tué une flopée de femmes au début du XXe siècle, mais aujourd’hui, ils peuvent vous sauver la vie.

Laura Helmuth

Traduit et adapté par Bérengère Viennot

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